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Des circonstances de son décès jusqu’à son inhumation à Allada aussitôt le lendemain, en passant par ce qu’elle représentait de son vivant, Père Jah raconte Mère Jah. Une mère qui est tout et qui est allée au bout de sa mission, selon son époux. De retour de la forêt d’Ahozon vers Ouidah, où une équipe d’Africa Dev News (ADN) a été à la rencontre du célèbre personnage veuf, voici la première partie de l’entretien exclusif avec lui.
Africa dev news: Comment va le Père Jah après le départ pour l’éternité de Mère Jah ?
Père Jah: C’est vrai, nous avons traversé une période un peu difficile. Mais avec la récompense, des choses importantes qui se déclenchent, nous sentons que nous allons de l’avant.
Donc on peut dire que le moral est au top ?
Oh, pas encore mais ça vient. Ça vient parce que la Mère Jah nous a mandatés encore une fois parce que notre retour ici c’est une mission. Elle a dit qu’il faut la poursuivre. Elle n’est pas partie, elle a fait une transition et est passée à un autre niveau pour continuer à nous guider sur cette mission qui interpelle notre génération, et nous permet de savoir que l’Afrique, berceau de l’humanité peut être une terre de salut, une terre de retour pour les enfants qui ont été dispersés hier.
La Mère Jah représentait quoi pour le Père Jah ?
La Mère Jah représentait la mère Afrique ‘’Mother Africa’’. Elle représentait une sœur qui a pour mission d’informer et de diriger notre génération. Toute chose commence par un féminin sachant que quand un féminin est engagé quelque part, c’est tout une nation qui est engagée. La nation africaine déportée dans la diaspora l’a reconnue comme celle qui devait nous faire traverser. C’est vrai que les choses ont d’abord traversé les êtres, et puis aujourd’hui toute la diaspora regarde vers le continent et cela, nous pouvons dire que c’est grâce à la Mère Jah.
Et la Mère Jah pour le Père Jah, en particulier ?
La Mère Jah pour le Père Jah représentait une mère aussi. D’abord une mère, ensuite une sœur. Nous avons été longtemps frère et sœur. Ensuite, et surtout une épouse ; une prêtresse. Ce ne sont pas des épousailles simples, mais des épousailles spirituelles. Des épousailles sachant que nous avons une mission qui devait nous emmener jusqu’à ce jour, nous permettre de nous baser sur l’Alpha. A partir d’elle on pouvait se baser sur l’Alpha et savoir qu’elle vient du continent ; ce continent hier berceau de l’humanité, le ramener à notre première appellation : l’Eden parce qu’au commencement l’Afrique s’appelait l’Eden. Ce n’est qu’après qu’on l’a appelé l’Ethiopie, la terre des Hommes à la peau brûlée. La Mère Jah pour nous avait une résonnance spécifique parce qu’elle représentait la mère de l’humanité pratiquement. Partout on la reconnaissait. Quand vous reconnaissez une réincarnation de la mère originelle, pour dire que c’est quelqu’un qui est considération, pour moi c’est une mère divine, une mère spirituelle, une mère à un niveau vraiment important. Qu’est-ce qu’elle représente pour nous ? C’est un tout.
Qu’est-ce qu’elle faisait de particulier et aujourd’hui après son départ vous sentez le vide ?
Disions que je ne sens pas le vide. Le vide physique, oui ! Mais ce qu’elle faisait de particulier, c’est que chaque fois elle nous interpellait pour prendre notre rôle, la paternité parce que pour elle, tous les enfants de l’humanité sont ses enfants. Donc pour elle, je devais assumer parce que elle, si ce sont ses enfants, c’est moi qu’elle désigne pour être leur père. Gérer en tant que père, ce n’est pas comme si vous êtes la paternité. Dieu a créé tout en paire. Pour qu’il y ait une possibilité de multiplication, tout doit être un et un qui fait un. Et c’est cela qui donne la puissance de la Sainte Trinité. La Mère Jah faisait un travail d’ouverture devant tout le monde. Pour nous, c’est notre lumière. On l’appelait le phare. Chaque génération a besoin d’un éclairage pour savoir qui il est et qu’est-ce qu’il a rempli comme mission. Elle s’était donnée des missions : ramener les fleurs ou les enfants d’Afrique qui avaient été déportés en terre étrangère. Markus Garvey avait dit ‘’regardez vers l’Afrique’’. Elle autre n’a pas dit seulement ‘’regardez vers l’Afrique’’ mais elle a dit rentrons en Afrique. Elle est venue nous chercher, elle nous a fait rentrer en Afrique. Elle était vraiment une force d’amour extraordinaire parce qu’on célèbre en même temps sa date de naissance sous l’auspice de l’amour. Au solstice de ça, on trouve la Mère Jah. Une mère qui est allée au bout de sa mission parce qu’elle est devenue matriarche avant de quitter.
Maintenant qu’elle n’est plus là, en quoi se résume le quotidien du Père Jah ? Qu’est-ce que vous faites chaque jour quand vous vous levez ?
D’abord c’est de remercier le très haut d’être présent pour pouvoir continuer l’œuvre que nous avons commencée ensemble et que nous avons à transmettre aujourd’hui. On est les anciens, et Jah veut dire ‘’jeunesse, avenir de l’humanité’’ en ce que nous avons à assumer à notre jeunesse. Maintenant, nous sommes parents, grands-parents et arrière grands-parents ; donc il faut transmettre à tous ceux-là parce qu’on parle de postérité dans l’hymne national du Bénin. Ce que nous faisons aujourd’hui, c’es la postérité qui en doit en bénéficier.
Et donc, qu’est-ce que vous faites chaque jour ?
C’est de nous occuper de l’habitat. Dieu nous a donné un lieu de vie. Le lieu de vie, c’est la vie. Et le lieu de vie a été déposé dans un tabernacle dont le continent est l’héritier. Donc nous sommes les héritiers de la nature, le lieu où l’homme doit retrouver sa totalité. C’est pourquoi nous avons le Psaume 23 : l’Éternel est mon berger…. Donc nous sommes le gardien du temple, le temple de la vie, le temple de la nature. C’est pour cela que la mère Jah s’occupait de la nature. La biodiversité, c’était cela son rôle. Savoir que la vie, nous devons bien la vivre et aider les autres à toujours mieux vivre. Et surtout assurer que la vie est dans sa totalité, est dans sa continuité parce que nous avons à livrer ce que nous avons emprunté. Nous avons emprunté quelque chose et maintenant nous le transmettons à la postérité. On avait aussi comme cantique : « Accourez-vous aussi, bâtisseurs du présent, plus forts dans l’unité chaque jour à la tâche, pour la postérité CONSTRUISONS sans relâche’’. Nous devons faire ensemble. Mère Jah a fait cette transition, Dieu l’a voulu pour que nous construisons ensemble ; pour que ça ne soit pas CONSTRUISEZ pace que quelque part elle représentait la diaspora, elle représentait le continent, elle représentait la diaspora en représentant le continent.
Est-ce qu’on peut dire, puisque les enfants sont là, que désormais le Père Jah est à la fois papa et maman ?
Non, ce n’est pas possible. Aujourd’hui, on peut dire que nous sommes un prêtre serviteur qui sert de père. C’est comme si on disait ‘’Babatoundé’’, le père est retourné (en langue yoruba) ; c’est-à-dire l’homme qui prend la responsabilité de la paternité. Et vous savez, c’est une mère qui vous dit c’est toi le père. C’est pour cela qu’on dit que l’Afrique est une civilisation matriarcale. Et donc, je ne suis pas père et mère.
Peut-on en savoir sur les circonstances du décès de la Mère Jah ?
Disons qu’aujourd’hui l’Afrique est confrontés à un problème civilisationnelle. C’est la grande confrontation. Bob Marley a chanté ‘’confrontation’’. L’Afrique est confrontée aujourd’hui à un mode de civilisation qui n’est pas pareille à ce qu’on lui connaissait : on vit en famille, en communauté, en royauté mais nous n’avons pas à vivre en civilité. Dans le mot civilisation, il y a le mot ville ; les gens construisent des villes.
Ma question est de savoir si elle a été souffrante, si c’est à l’hôpital…
Ah, oui. C’est pour cela que je parlais de confrontation. Confrontation, justement avec un système qui privilégie aujourd’hui le chimique, l’artificiel, confronté au matériel. Aujourd’hui on est capable de déboiser des forêts qui étaient sacrées comme celles du Gabon, de l’Amazonie pour faire des meubles alors que l’homme a tout une réserve de matériaux naturels pour pouvoir vivre bien, même très bien. Il y a un mode de vie de l’Afrique et un m do vie des gens qui ont vécu hors du continent parce que bannis dès le départ. Maintenant, pour eux la terre d’Afrique est une terre qu’ils peuvent désacraliser, ramasser l’or, etc. Nous parlons de façon spirituelle. La Mère Jah et nous, étions très attachés à l’Afrique parce que si un peuple connaît l’origine, c’est le peuple africain. Dans une vie où il y a la pollution aujourd’hui, il y a toutes sortes de choses. C’est vrai qu’elle a attrapé une pandémie, une maladie qui court… Je dis quelque part, c’est provoqué parce que le temps est là pour ça. Elle n’est pas morte dans les douleurs, la vie lui a épargné cela mais aussi sa foi. Cependant, nous avons dû subir les médicaments chimiques alors que nous, notre mode de vie devait nous amener à ce que nous soyons épargnés de cela. Le temps fait des choses, Dieu aussi fait des choses.
Voulez-vous dire qu’elle était à l’hôpital quand elle était malade ?
Très peu de temps ! Mais ils ont au moins tenu compte de son mode de vie et de qui elle était, pour les soins. Elle n’est pas passée par la chimiothérapie. Elle avait simplement dit qu’elle s’en allait parce que sur un autre plan, c’est comme si elle-même était avertie. Elle a appelé tout un chacun pour leur demander de quoi ils avaient besoin. C’est comme un avertissement pour leur signifier qu’elle s’en allait. Pour tout le monde, elle s’en irait un jour mais aujourd’hui, il y a les moyens technique et scientifique pour se maintenir en vie. Il y avait un choix à opérer et la vie veut que des choix soient faits sous forme de sacrifice.
Est-ce ici à Ahozon qu’elle a rendu l’âme ?
Elle a rendu l’âme dans un petit Centre de santé qui n’est trop loin d’ici parce qu’on refusait l’hôpital.
La nuit ou en pleine journée ?
C’est la nuit à une heure du matin.
Pourquoi avoir choisi Allada pour son inhumation ?
Allada, c’est la capitale de la Diaspora. C’est l’endroit où est né le père de Toussaint Louverture qui était le prince de la cour du roi d’Allada qui a suivi les étrangers venus demander au roi d’Allada du personnel pour travailler à la Diaspora. Au début, les Occidentaux étaient venus pour demander la main d’œuvre pas pour les arracher. Mais comme ils n’en voyaient pas, à un moment donné, ils se sont posé des questions, et c’est à partir de cet instant qu’ils ont commencé par demander la main d’œuvre par la force. Nous connaissons l’histoire. La Mère Jah connaissait l’histoire non seulement du continent mais de la Diaspora parce qu’elle y a vécu également. Elle connaissait donc les deux histoires et pouvait vraiment faire un tour d’horizon de notre trajectoire, depuis l’origine jusqu’à ce jour. C’est pour quoi elle était allée dans un lieu où des prêtres s’occupent de la santé ; eux qui ont une écoute sachant que quand vous êtes africain, vous pouvez changer votre peau si vous le voulez mais pas votre nature, car vous êtes africains dans l’âme. Les gens ont compris qu’elle était quelqu’un qui, de par son alimentation, à son mode de vie, elle avait choisi le naturel.
Voulez-vous dire qu’elle était conduite dans un hôpital des prêtres ?
Bien sûr ! C’était un hôpital des prêtres. La Mère Jah était d’un niveau spirituel, ce qui a fait que les gens qui la côtoyaient étaient d’un certain niveau. Ils avaient une ouverture d’esprit et savaient que même si vous êtes d’une religion, vous demeurez un Africain indéniable, vous êtes un homme attaché à Dieu. La religion vient après mais avant tout, vous êtes un homme d’âme et d’esprit avant cela.
L’inhumation a eu lieu dans un cimetière à Allada ?
Pas du tout ! Allada, c’est la terre promise. Elle était allée dormir en terre promise, au plus haut de cette porte qui est à la fois une porte comme Ouidah, mais c’est une porte avec un non-retour. Il y a cette compréhension qui doit être faite aujourd’hui. Elle disait toujours qu’elle va faire mentir cette porte.
Elle va faire mentir cette porte ?
Tout à fait ! La porte du non-retour, c’est comme si on ne fera plus jamais cette mauvaise chose. Observez un peu comment les Occidentaux agissent aujourd’hui, c’est un peu comme ce que Dieu avait dit : vous retournerez. Il y avait eu une promesse pour les déportés. Les premiers Africains qui étaient partis avaient inscrit leur volonté de revenir sur le continent au regard des conditions dramatiques dans lesquelles ils étaient partis.
Pour vous, 75 ans d’âge est-il peu pour le départ de Mère Jah ?
Effectivement, c’est peu pour rejoindre l’au-delà mais comme je le dis, elle n’est pas partie. Pour nous, elle est toujours présente et vivante dans la mesure où sa mission est inscrite dans l’éternité. Là où nous sommes là par exemple, on a décidé que ce sera l’espace Mère Jah. Pour les hommes qui ont de l’esprit, cela démontre que nous devons parfaire notre mode de vie, la terre du Bénin, pour qu’elle soit une terre promise, où l’Africain règne, où le Christ règne et où la vérité règne. Ce n’est plus quand on va au Bénin, tout est chimique dans ce pays. Il y a des espaces pour la vie et des endroits comme le cimetière que vous avez évoqués plus haut qui sont consacrés à la mort, c’est-à-dire que ce sont les cadavres qui sont là. Mère Jah n’est pas un cadavre. Aujourd’hui, nous savons qu’il y a un mode de vie qui va vous amener à avoir une meilleure santé tous les jours. Vous allez vous éteindre mais vous n’allez pas mourir. C’est vrai qu’elle a subi tout cela mais ce que nous tirons personnellement, avec elle, nous avons pu reconstituer qu’il y a une tragédie qui nous oblige à faire des corrections. C’est pourquoi les Rastafari comme Bob Marley chantent la chanson ‘’redemption’’, pour dire que nous avons aussi des choses à changer. On ne peut pas être un Africain et toujours accepter certaines choses qui enlèvent votre identité. On doit se ré-identifier. Même si on vous a arraché votre identité, à un moment, aujourd’hui vous devez vous ré-identifier en disant que vous êtes Africains. La Mère Jah n’a jamais accepté d’avoir une autre nationalité autre que celle qu’elle avait depuis sa naissance. On lui a proposé beaucoup de choses mais elle s’y est opposée en disant qu’elle reste ce qu’elle est. La Mère Jah aime tout le monde. Partout où elle était, elle était adulée mais elle a toujours clamé que son identité est d’origine ; c’est cela qu’elle tient et qu’au contraire, connaissant mieux notre histoire, nous devons retourner sur la terre ancestrale et reprendre notre identité avant même peut-être de mériter la terre promise.
Pour tous ses combats dans les domaines de la biodiversité, de l’écologie, avez-vous l’impression que des obsèques jusqu’aux hommages à elle rendus, les gens vous ont considérés et vraiment aimés ?
Respecter la Mère Jah et la mission que nous accomplissons, oui ! Les gens ont témoigné le jour de l’inhumation. Tous les prêtres qui se sont occupés d’elle pour lui donner des valeurs de santé étaient tous présents. Ils ont tous témoigné que quand elle a été rencontrée et qu’elle leur a parlé, chacun a changé en se disant qu’ils sont avant tout des Africains.
Y-a-t-il eu une mobilisation au niveau gouvernementale ?
La Mère Jah n’a jamais été quelqu’un qui demande pour elle-même. Elle demande pour les autres. La seule chose qu’elle a dite : prenez vos dispositions et mettez-moi en terre là où nous avons commencé à poser les jalons de la terre promise. Nos enfants sont très méticuleux sur ces questions. Quand elle dit quelque chose, on le fait. Nous l’avons mieux respectée. Elle est partie à une heure. Dès qu’il a commencé à faire jour, on s’est mis en route. Il n’avait pas sonné 14h avant qu’elle ne soit en terre. Après nous avons prévenu tout le monde. Ça s’est passé à une vitesse qu’elle nous a prévenu d’une chose : aujourd’hui, il y a une confusion sur le continent. On s’imagine que le modèle universel, c’est le modèle actuel. Le modèle universel est celui qui correspond à tout l’univers.
Que voulez-vous dire par là ?
Un modèle universel est celui qui a en lui, les connotations pour que les choses soient éternelles. Les choses sont aujourd’hui éphémères mais il y a un mode de vie qui est éternel. Quand vous vivez en harmonie avec le créateur, il y a une vie harmonieuse. Mais quand vous vivez en infraction, vous aurez des problèmes.
Maintenant qu’elle n’est plus là, auriez-vous aimé que quelque chose se fasse en son honneur par le gouvernement ?
Ah oui ! Faire quelque chose en son honneur, c’est la faire vivre, faire vivre l’évangile qu’elle a prêché. Et là, nous nous adressons à chaque Africain et non au gouvernement ou au président Patrice Talon. Et là, nous interpellons tout le monde, car nous sommes obligés de bâtir ce que la Mère Jah avait toujours dit : il faut bâtir la terre promise, un endroit où quand la Diaspora rentre, elle trouve l’Afrique, de quoi s’habiller et s’alimenter. Mais aujourd’hui, l’Afrique n’est plus à l’heure, il faut qu’on la remette à l’heure. Pour cela, on doit appeler tout le monde. A travers votre canal, nous lançons un appel pour que par exemple, les enfants aient à manger à midi, qu’il y ait des conditions de vie et d’éducation ; pour que l’œuvre de Dieu qu’elle défendait soit perpétuée.
Propos recueillis par J.B et N.A