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L’ancien directeur général de la Police nationale (Dgpn), Louis Philippe Houndègnon, a réagi sur le dossier « Arrestation de Steve Amoussou à Lomé » qui défraie la chronique. Sur « Zapping » de Vital Panou sur Facebook, le dimanche 8 septembre 2024, l’ancien patron des flics béninois a fait des observations aux plans technique et du droit administratif. Lire ses analyses.
« Je vais remercier ceux qui ont donné l’alerte que Monsieur Steve Amoussou a été kidnappé. Je vais saluer également tous ceux qui ont levé et continuent de lever le bouclier. Je vais remercier aussi Monsieur Steve Amoussou d’avoir crié très tôt au secours, ne laissez pas la dame-là partir, à Lomé pour se sauver la vie. Il est le symbole de l’engagement qu’il faut face à ce régime.
Au plan technique, pour qu’une procédure judiciaire soit valable, il faut des conditions. A l’étape de l’enquête de la Police, en dehors des cas de clameur publique permettant à tout citoyen d’intervenir, lorsqu’il s’agit d’une opération à l’extérieur, il y a deux situations qu’il faut distinguer dans le dossier Steve Amoussou. Il y a d’abord, le droit de la mainmise sur un individu. Pour l’exercer dans une procédure, il faut avoir la qualité de fonctionnaire de Police ou tout le moins d’un agent de la force publique bénéficiant d’une réquisition d’un Officier de police judiciaire ou d’une autorité judiciaire habilitée comme le procureur de la République ou le juge d’instruction.
La seconde opération qui doit transparaître dans le procès verbal et qui est l’arrestation proprement dite, c’est la notification de l’arrestation. Pour la faire, il faut être non seulement fonctionnaire de Police, mais Officier de Police judiciaire. En clair, aujourd’hui si on doit monter la procédure, le papier de la Police qui doit accompagner Steve Amoussou à la Criet, le premier Procès verbal s’intitule : Saisine, transport, arrestation.
La saisine va mentionner les actes qui autorisent la Police à se transporter. S’agit-il d’un mandat de justice, d’un mandat d’amener, de dépôt ou d’arrêt ? Si ce n’est pas un mandat de justice, il doit s’agir d’une réquisition du procureur de la République. Si ce n’est pas le cas, il doit s’agir d’une initiative de la Police. Pour ce faire, on doit d’abord rendre compte au procureur de la République de l’intention d’aller arrêter telle personne en territoire étranger. Suite à cela, le service qui a compétence d’attribution au sein de la Police va écrire au service d’Interpool qui assure la liaison entre le bureau national d’Interpool du Bénin et le bureau central d’Interpool de Lomé. Il y a donc une note verbale que nous appelons en termes terre à terre, la demande d’opération policière dans le cadre de l’arrestation de tel citoyen (Steve Amoussou). C’est à partir de là, que l’officier de liaison Interpool du Bénin, va faire diffuser le bulletin rouge qui montre que telle personne doit faire l’objet d’une arrestation. Les policiers doivent recevoir un ordre de mission, se transporter à Lomé et y rester tranquille sans exercer la mainmise. C’est l’Officier de police judiciaire du Togo qui rédige le PV d’arrestation que les policiers béninois vont intégrer à leur PV de saisine, transport, arrestation. L’arrestation même se fait par l’officier togolais. C’est au retour à Hillacondji du côté de Sanvee-Kondji, que les policiers togolais vont remettre Steve Amoussou aux policiers béninois pour en dresser le Procès verbal qui s’appelle le Procès verbal de remise de délinquant de Police A à Police B ou de suspect de Police A à Police B. Il y a des instruments qui organisent cela.
A Sanvee-Kondji, la Police béninoise prend en main Steve Amoussou pour le conduire vers le service qui a compétence d’attribution. Je précise qu’il faut deux Officiers de police judiciaire pour aller vers les collègues togolais.
Quand dans la procédure, le PV de saisine, arrestation, transport n’a pas existé, le PV de remise de délinquant de Police A à Police B n’a pas existé, et qu’un commissaire de Police ait accepté de garder Steve Amoussou, il y a problème. C’est ce que Jean Montreuil et Charles Parra dans leur « Traité de procédure pénale policière » appellent: les causes de nullité de l’arrestation. L’arrestation étant la première des pièces de la procédure, si elle n’existe pas, on ne peut pas dire qu’elle a été régulière. Louis Lambert, dans son « Formulaire des Opj », a insisté longuement sur le fait que dans les écoles même de Police, ce PV étant tellement sensible, c’est lui qu’il faut enseigner en dernier ressort au cours de la formation des commissaires, des policiers et des inspecteurs de Police. Un autre auteur va dire que les procureurs de la République ne reçoivent pas de défèrement quand la procédure est apparemment viciée parce qu’ils seraient complices d’arrestation arbitraire. Le juge constitutionnel béninois a été tellement rigoureux jusqu’à une date récente qu’on était obligé de respecter cela.
Je ne suis pas dans le secret des dieux pour savoir dans quelles conditions le procureur spécial de la Criet a reçu la procédure de défèrement de Monsieur Steve Amoussou. J’ai l’obligation de réserve par rapport à cela, parce que je n’ai pas les éléments d’analyse qui m’auront permis de comprendre davantage. Les jours à venir vont nous éclairer sur ce qui s’est passé après l’arrestation de Monsieur Steve Amoussou.
Pour conclure sur cette question, vous convenez avec moi qu’avec la dernière décision de justice, nous nous sommes rendus compte que ceux qui sont allés arrêter Monsieur Steve Amoussou n’ont pas qualité de fonctionnaires de Police ni d’agents de la force publique. Ils n’ont pas reçu de réquisition et ne sont accompagnés ni de l’officier de liaison de la Brigade économique et financière, ni de l’officier de liaison de l’Interpool. Ceux qui ont opéré cette arrestation n’ayant pas qualité, le procureur spécial de la Criet a bien fait de qualifier l’acte d’enlèvement de séquestration. Les jours à venir réservent certainement des surprises dans le dossier parce qu’on se demande si la justice togolaise ira jusqu’à utiliser des mandats d’arrêt contre les policiers qui ont reçu ce type de personne enlevée et même faire des actions contre notre justice ?
Sur le plan du droit administratif, Monsieur Steve Amoussou est fondé à se retourner contre l’Etat béninois, devant un juge administratif pour engager sa responsabilité pour mauvais fonctionnement des services de justice. Plus tard, Monsieur Steve Amoussou sera également fondé à ester les juges qui auront pris une décision contre lui pour voie de fait. La voie de fait administrative est un crime imprescriptible parce que rejoignant l’inexistence juridique… ».
Transcription : Africa Dev News