Africa Dev News est un média panafricain d'informations, d'analyses, d'investigations et de publicités, avec un focus sur le Bénin où il est basé.
La crise entre le Bénin et le Niger née du renversement du président démocratiquement élu Mohamed Bazoum et de l’application des décisions de la Cedeao n’a pas fini de développer ses facettes malgré les actions menées par le gouvernement béninois pour le dégel. Dans un entretien exclusif avec votre média Africa Dev News, l’ancien ministre des Affaires étrangères et ancien président de la Cour constitutionnelle, Professeur Théodore Holo, donne sa lecture de cette situation qui dure depuis bientôt 12 mois. Dans une approche pédagogique, l’universitaire béninois a fait un rappel de décisions et interventions de la Cedeao dans de précédents changements anticonstitutionnels en Afrique de l’ouest, pour en arriver au cas du Niger. Il en vient à déplorer « quelques erreurs » dans la démarche des dirigeants de l’organisation sous régionale quant à la gestion de la situation qui défraie la chronique. Pour le Professeur Théodore Holo, il faut aller au dégel, rouvrir les frontières pour le bonheur des populations qui subissent plus les conséquences de ce bras de fer. Lire l’intégralité de ses propos.
Africa Dev news : Comment vivez-vous la crise entre le Bénin et le Niger ?
Professeur Théodore Holo : Si vous voulez parler de la crise entre le Bénin et le Niger, il faut savoir poser le problème. Le Bénin et le Niger font partie d’une communauté, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) qui a des règles. Il y a les protocoles additionnels de 1999 et de 2001 qui entre autres, relativement à la démocratie et à la bonne gouvernance, condamnent les changements anticonstitutionnels de gouvernement. Qu’est-ce qu’on y entend concrètement ? C’est la conquête ou la conservation du pouvoir en violation de l’ordre constitutionnel. Cela peut être un coup d’Etat militaire ou des militaires prennent le pouvoir, confisquent la souveraineté du peuple. Cela peut être également des révisions de la Constitution pour faire sauter le verrou de la limitation des mandats ou encore des tripatouillages dans le processus électoral pour pouvoir conserver le pouvoir. Face à cette situation, la Cedeao a une politique. Je voudrais rappeler quelques situations pour que vous compreniez le fond du problème. En 1998, en Sierra Leone, le commandant Johny Paul Koroma a fait un coup d’Etat contre le chef de l’Etat qui avait été élu il y a moins d’un an, Ahmad Tejan Kaba. Par la force, Koroma a été contraint de renoncer au pouvoir. C’est d’abord un premier précédent dans la sous-région. En Gambie, Yahya Jammeh en 2017, quand il a perdu les élections, il a proclamé un Etat d’urgence et s’est maintenu au pouvoir. Par la force, la Cedeao l’a contraint à quitter le pouvoir. C’était l’Armée sénégalaise, et en Sierra Leone, c’était les Nigérians et les Libériens qui ont conduit les opérations. Par ailleurs, de 1990 à 1993 à peu près, il y a eu la guerre des rebelles au Libéria, en Sierra Leone et il y a eu l’Ecomog qui sont des forces armées des pays de la Cedeao composées à l’époque essentiellement du Ghana, du Nigéria, du Mali et de la Guinée Conakry pour combattre les rebelles. J’étais ministre des Affaires étrangères du Bénin. A partir de 1991, j’ai eu à gérer cette situation et nous sommes allés aux Nations Unies où j’ai plaidé au titre du Conseil des ministres des Affaires étrangères de la Cedeao devant le Conseil de sécurité pour l’application du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies qui stipule que lorsqu’il y a trouble à l’ordre public ou la menace à l’ordre public est sous régional, on peut utiliser les moyens de contrainte. En son temps, l’Ecomog a eu le soutien des Nations Unies. Ce qui veut dire que dans les conventions, dans la pratique, il y a cette tendance à user de la force pour contraindre ceux qui sont arrivés au pouvoir en violation de la Constitution, à y renoncer.
Le Mali aussi a vécu la même situation. Si vous vous souvenez quand Toumani Touré, je crois en mars 2012, à un mois de la fin de son mandat, a été renversé par Sanogo, la Cedeao est également intervenue. Ce qui a fait que Sanogo a dû quitter le pouvoir mais Toumani Touré a démissionné et c’est le président de l’Assemblée nationale, conformément à leur Constitution, qui a assuré l’intérim.
En 2020, au Mali encore, il y a eu un coup d’Etat. Et c’était mené par le colonel Assimi Goïta. La Cedeao a fait pression et il a dû renoncer à la présidence de la Transition, qui a été confiée à N’Daw Bah qui est un militaire à la retraite. Il est vrai, Goïta va revenir en août 2021 pour reprendre le pouvoir reprochant à N’Daw, sa proximité excessive avec la France. Ce qui veut dire qu’il y a déjà une tradition en la matière.
Et ce qui s’est passé au Niger après le coup d’Etat en juillet 2023, c’était la mise en œuvre d’une pratique au niveau de la Cedeao : intervenir pour ramener à l’ordre constitutionnel. Cette fois-ci, il y a eu peut-être un caractère trop excessif des mesures prises par la Cedeao.
Le premier élément, quand Bola Tinubu a été élu président de la République au Nigéria et président de la Cedeao, il a affirmé qu’il n’allait plus accepter les coups d’Etat et qu’il allait recourir à la force. Or, le recours à la force ne se décide pas automatiquement. On voit l’accompagnement qu’on peut faire pour que les gens se retirent du pouvoir. C’est quand ils refusent de quitter le pouvoir, que, généralement, on a recouru à la force. Cela a été le cas des exemples que je vous ai cités. Mais quand la décision a été prise alors que tout le monde n’avait pas émis son avis favorable au Nigéria même, puisque le Sénat n’était pas d’accord, les populations du nord du Nigéria, limitrophe du Niger avaient marqué des résistances, il y a eu un recul dans la situation.
Le Bénin, dans ces circonstances, n’a fait qu’appliquer, de mon point de vue, les décisions de la Cedeao parce que nous sommes tenus de respecter nos engagements internationaux. Voilà pourquoi on a critiqué le Bénin lorsqu’il n’a pas accepté d’appliquer les décisions de la Cour de justice de l’Union africaine par rapport à des acteurs politiques. De la même manière, on a condamné le Bénin, quand il a été décidé de ne pas organiser les élections et le Bénin n’en a pas tenu compte. Donc, on ne peut pas reprocher au Bénin de ne pas respecter les engagements internationaux et lui reprocher après de respecter les engagements internationaux. Voilà ce qui est du contexte général.
Je dis qu’il y a eu quelques erreurs parce que les mesures prises à l’encontre du Niger me paraissent excessives. Il faut d’abord une condamnation, discuter et accompagner. Lorsqu’on décide de fermer la frontière, on impacte non seulement les auteurs du coup d’Etat, mais aussi la population. Or, c’est sur les auteurs du coup d’Etat, à mon avis, qu’il faut fait pression. Est-ce qu’il faut prendre des mesures sélectives ? Par exemple, on décide de l’interdiction de voyage pour les auteurs du coup d’Etat ; s’ils ont des biens à l’étranger, on les bloque. Les populations ne sont pas impactées par cette décision. Mais décider de fermer les frontières, c’est prendre en otage les pauvres populations pour lesquelles on est censé travailler. Et ces populations ne peuvent pas soutenir ou comprendre la légitimité de la décision de la Cedeao si elles pâtissent de ces décisions. Mais une fois qu’on a pris la décision de sanctionner, on accompagne. Vous verrez que chaque fois, on a toujours nommé un médiateur de la Cedeao. Par exemple le président Yayi Boni a été nommé médiateur pour la Guinée Conakry. Mohamadou Issoufou avait été nommé médiateur pour le Burkina Faso. Le médiateur négocie et essaie de trouver un consensus pour revenir à l’ordre constitutionnel. Cela peut prendre du temps (un an voire deux ans). On suit et on accompagne. Je crois qu’on a oublié cet accompagnement. Je rappelle que la condamnation des coups d’Etat, ce n’est pas seulement la Cedeao qui le fait. Cela est prévu par l’Union africaine, la déclaration d’Hararé, du Commonwealth, de Bamako, de la Francophonie. Cela a été appliqué à Madagascar en ce qui concerne la Francophonie. A un moment donné, le président Rajolina a été exclu du pouvoir et n’a pas pu participer à l’élection présidentielle qui a suivi. C’est après la transition qu’il est revenu par les urnes au pouvoir. Donc c’est déjà une pratique d’empêcher qu’on arrive au pouvoir en confisquant la souveraineté du peuple. Il faut arriver au pouvoir non pas par la force de armes, mais par les urnes. C’est d’abord la règle.
Le Bénin dans la crise qui l’oppose au Niger a appliqué une décision de la Cedeao même s’il a pris un engagement fort comme d’autres pays pour apporter sa contribution à cette force d’intervention comme en d’autres temps, c’était des Nigérians, des Ghanéens et des Maliens, les Guinéens qui envoyaient surtout les soldats. Les francophones étaient très peu motivés à l’époque pour ces genres d’opération. Mais une fois qu’on a décidé d’ouvrir les frontières et de lever les sanctions, le Bénin a aussi respecté les décisions. Les frontières ont été rouvertes. Le Niger estime qu’il ne se sent pas en sécurité. Il ne va donc pas rouvrir ses frontières. Voilà le nœud du problème. Je suis Béninois. Le Niger a décidé de coopérer avec les Russes, les Turcs et les Iraniens. C’est le droit de leur pays.
Le Bénin peut décider de coopérer avec qui il veut, c’est aussi de son droit. Maintenant, est-ce que le Bénin constitue une menace pour la sécurité du Niger? Personnellement, je n’ai pas de preuves pour l’affirmer. Mais ce qui est un élément fondamental, c’est la constance de nos relations avec le Niger. Comme on le dit généralement, la seule constance de l’histoire, c’est la géographie. Le Bénin est frontalier du Niger. Cela ne changera pas. Vous et moi, nous partirons, nos enfants viendront, le Bénin sera toujours frontalier du Niger. Je ne souhaite pas qu’il y ait une guerre qui fasse que le Bénin absorbe le Niger ou que le Niger absorbe le Bénin. Il y aura toujours cette frontière. Nous devons donc préserver la qualité de nos relations.
Depuis 1964 ou 1965, sous la présidence d’Apithy, Ahomadégbé étant vice-président du Haut conseil du Dahomey, nous avons demandé aux Français d’évacuer leur base qui se trouvait à Ouidah. Ce qui veut dire qu’à ma connaissance, il n’y a plus de base militaire étrangère au Bénin. On peut coopérer comme tous les pays du monde le font. Il existe des bases américaines en Allemagne, au Japon, mais on ne le dit pas souvent. C’est leur choix. Ce qui fait que je ne reproche pas aux Nigériens de chercher avec qui ils peuvent coopérer pour garantir leur sécurité. L’essentiel, c’est que cela soit leur choix et que cela ne constitue pas une menace pour leurs voisins.
Je regrette également, puisque dans le cadre de la Cedeao, il est prévu la lutte contre le terrorisme international. Je regrette que lorsque le terrorisme s’est développé dans certains pays membres de la Cedeao, cette question, je ne sais pas si elle a été discutée, mais que des mesures n’aient pas prises comme ce fut le cas quand les rebelles ont menacé la sécurité du Libéria et du Nigéria où on a mobilisé des forces de l’Ecomog pour les combattre et on a même pu faire intervenir la communauté internationale pour soutenir cette action. Par rapport à cette situation, nous devons pouvoir voir les limites du travail qui a été fait à ce niveau par la Cedeao. Je voudrais rappeler que la Cedeao au départ, était une communauté d’intégration économique. Mais après la crise au Libéria en 1992, il y a eu la révision de la Charte de la Cedeao à Cotonou, le 24 juillet 1993. C’était mon dernier acte en tant que ministre des Affaires étrangères du Bénin puisqu’en septembre, le doyen Robert Dossou va me remplacer à ce poste. Il a été dit que nous ne pouvons pas faire simplement une intégration économique sans avoir des convergences politiques. Voilà pourquoi il y a eu des protocoles additionnels sur la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Ce protocole, c’était le doyen Robert Dossou qui a été l’expert mandaté par la Cedeao pour l’élaborer. J’ai fait partie avec des Nigérians, des Sierra Léonais, de ceux qui ont été sollicités pour apprécier le travail et qui a été adopté au Sommet de Lomé. Il y a eu également le protocole additionnel sur la démocratie et la bonne gouvernance. Tout ceci, pour montrer qu’il faut que nous ayons des convergences politiques. C’est pour cela qu’au niveau de la Cedeao, il a été prévu la limitation du nombre des mandats. Au départ, c’était le Togo et la Gambie qui s’opposaient et ce projet a été bloqué. Quand Yahya Jammeh a été chassé du pouvoir, cela a été le tour du Togo, la Côte d’Ivoire, le Sénégal avec Macky Sall, qui s’y étaient opposés. Pour montrer qu’il y a une volonté de convergences politiques.
Dans le protocole additionnel élaboré par Robert Dossou, il est prévu que les militaires doivent avoir le droit de vote mais les Sénégalais s’y étaient opposés parce qu’ils ont connu une tentative de coup d’Etat en décembre 1962 opposant Mamadou Dia et soutenu par la Gendarmerie et Senghor son ami soutenu par l’Armée, et les militaires n’ont pas le droit de vote. Nous leur avions dit que les militaires sont des citoyens. Ils doivent voter même s’ils ne sont pas des acteurs politiques. Ils peuvent voter un, deux jours ou une semaine avant les civils pour avoir le temps de surveiller le processus électoral. Cela, pour montrer qu’on ne se limite plus simplement à l’économie au niveau de la Cedeao, mais qu’on veut aussi des convergences politiques. Nous observons la même chose au niveau de l’Union européenne, où de Communauté économique européenne elle est devenue Union européenne parce qu’il doit avoir une vision sur la démocratie et le respect des droits humains.
Par rapport à cette situation, il est regrettable qu’il n’y ait pas eu la réflexion nécessaire pour accompagner le Niger après la sanction. Je regrette que le Niger décide d’isoler le Bénin au niveau de la Cedeao parce que le Niger n’a pas fermé ses frontières avec le Nigéria et pourtant, c’est Tinubu qui était à la base de cette décision.
Justement, cela ne donne-t-il pas l’impression que le Bénin qui voulait être le bon élève de la Cedeao, a fini par s’embourber ?
Est-ce que le Bénin a envoyé des soldats au Niger ? Est-ce que le Ghana a envoyé des soldats ? Il y a un processus que le Bénin suit. Je ne peux pas reprocher à un Etat de respecter les décisions d’une Communauté à laquelle il appartient.
Quelle est votre lecture de la position du président béninois, Patrice Talon ?
Est-ce que le président Patrice Talon a envoyé des soldats béninois combattre le Niger en dehors de la Cedeao ? Est-ce que le Bénin a mobilisé ses soldats pour les mettre à la disposition de la Cedeao à la frontière en attendant que le feu vert ne soit donné pour travers la frontière ? Moi, je discute de façon objective ; je ne suis pas un ami particulier du président Talon, je suis d’abord béninois. Quand je ne suis pas d’accord avec le président Talon, je le lui dis et je l’ai assumé quand j’étais à la Cour constitutionnelle parce que pour moi, c’est l’intérêt de la Nation qui compte. Si le président Talon fait quelque chose qui me paraît juste, je suis obligé de le reconnaitre parce qu’aucun de nous ne peut être totalement mauvais ou totalement bon. Moi qui suis devant vous, j’ai mes mauvais côtés comme mes bons. Pareil pour vous aussi. Si vous me dites par exemple que dans cette situation, alors que la Cedeao n’a pas encore décidé de positionner des soldats, le président Talon a donné des ordres pour qu’on positionne des soldats, là, je peux blâmer cela parce qu’il est allé au-delà de la décision de la Cedeao. Mais si je ne n’ai pas cet élément, je ne peux pas dire qu’il s’est engagé. Je regrette qu’un pays comme le Togo qui est membre de la Cedeao, n’ait pas respecté ses décisions. Peut-être qu’il y a une frustration au niveau du président Faure Gnassingbé parce que n’oubliez pas qu’en 2005, quand son papa était mort, alors qu’il était ministre des Travaux Publics, et que c’était le président de l’Assemblée nationale, Fambaré Ouattara Natchaba, qui devrait prendre le pouvoir selon la Constitution, les militaires l’ont mis au pouvoir. Le président nigérian d’alors, Olushegun Obassanjo, voulait intervenir mais on lui a fait comprendre que c’est la zone d’influence de la France. On a fait de Faure, le président de l’Assemblée nationale pour assurer l’intérim. Ce dernier a décidé d’organiser les élections dans les 60 jours ; élection à laquelle il a participé et a été élu. Ce cas, pour montrer que là également la Cedeao s’était opposée à son arrivée au pouvoir en violation de la Constitution puis qu’il est dit qu’en cas de décès du président de la République, c’est le président de l’Assemblée nationale qui devient le président de la République par intérim. Natchaba était en mission à l’étranger, l’aéroport a été fermé. Son avion a été contraint d’atterrir à Cotonou pour l’empêcher d’être surplace. Je pense qu’il y a tous ces éléments qu’il faut prendre en compte. Il y a les bons élèves de la Cedeao, il y a les autres élèves pour ne pas dire les mauvais parce que sur d’autres points, le Bénin est aussi un mauvais élève. J’ai parlé plus haut des décisions de l’Union africaine que le Bénin décide de ne pas respecter. En tant que tel, il est un mauvais élève parce que nous sommes dans une communauté internationale et nous sommes liés par les règles de cette communauté. Si nous ne sommes pas d’accord, nous sortons de la communauté.
Et ne pensez-vous pas que le bon élève qu’est le Bénin dans la crise avec le Niger, a été lâché par la Cedeao ?
C’est en cela que je dis qu’il y a les faiblesses des décisions de la Cedeao. Le Bénin n’a pas été lâché en tant que tel par la communauté. C’est que le Niger est sorti de la Cedeao ; ce qui fait que la Cedeao n’a plus les moyens de pression. Qu’il vous souvienne que le Nigéria a envoyé d’anciens présidents militaires nigérians pour aller négocier mais la condition c’était la libération de Mohamed Bazoum qui n’a pas démissionné. Or, le Général Tiani ne veut pas entendre parler de libération de Bazoum. Le 26 juillet prochain, cela fera un an que Bazoum a été renversé mais il n’a toujours pas démissionné. Ce qui veut dire la Cedeao n’a plus les moyens de pression. Il est vrai, vous voulez que la communauté internationale intervienne pour dire que le Niger doit rouvrir les frontières, mais quels sont les moyens de pression ? Vous ne savez pas ce qui se fait en douce. Il est vrai, il eût été intéressant qu’au niveau de la Cedeao, même si c’est réduit à 12 membres, qu’il y ait une expression de solidarité et par rapport à la situation du Bénin et un accompagnement pour trouver une médiation acceptable de part et d’autre, pour régler le problème parce que le Bénin et le Niger sont condamnés à vivre ensemble.
Concrètement, le Niger, le Burkina Faso et le Mali sont-ils sortis de la Cedeao puis qu’il faut un an selon les textes de la communauté pour l’effectivité du retrait ?
Les textes de la Cedeao prévoient un an mais les dirigeants de ces pays ont dit que c’est avec effet immédiat qu’ils ne sont plus liés par ses règles. Il est vrai, il y a des démarches qui sont initiées pour essayer de les faire revenir. Le président sénégalais Bassirou Diomaye Faye est aussi dans cette logique et je suis sûr que lorsque ces trois pays vont retrouver des régimes constitutionnels, ils trouveront que nul ne peut vivre isolé, il faut intégrer cet ensemble. La preuve, pour leur commerce, quelque fois, le Mali, le Niger et le Burkina Faso pensent utiliser ou le port de Conakry, ou celui de Nouadhibou ou de Casablanca. Vous voyez la distance ? Il faut traverser des zones qui ne sont pas süres. Cela pose également un problème. Il y a des habitants du Burkina Faso, du Niger et du Mali qui sont dans les différents pays de la sous-région. Nous avons la libre circulation des personnes et des biens et le libre établissement. Quand il n’y avait pas la Cedeao, le Dahoméen que nous étions, avions besoin de visa pour aller au Ghana. Avec la Cedeao, nous n’avons plus besoin de visa. Nous avons un passeport communautaire. Les populations de ces pays qui sortis de la Cedeao sont privées des avantages de cette communauté. Ce qui veut dire que la raison finira par triompher. Je n’ai donc pas d’inquiétudes à ce niveau.
D’aucuns disent que la crise dépasse les deux présidents qui sont à la tête des deux Etats et que c’est plutôt une crise géostratégique. Qu’en dites-vous ?
Chacun est libre de faire sa réflexion. Le Niger est un pays souverain. Les Nigériens ont fait appel à des partenaires étrangers. Ce que je trouve bizarre, c’est que ces pays (Niger, Mali et Burkina Faso) prônent la souveraineté. Donc, ils ne veulent plus avoir de Maîtres. Mais quand j’observe les manifestations, je vois que des gens sont drapés avec des drapeaux russes ; cela veut dire que leur mentalité est d’avoir toujours un Maître. Est-ce que nous sommes manipulés ? Je ne suis pas aux affaires, je ne peux donc pas dire que c’est la France ou la Russie qui a dit au Bénin ou au Niger d’avoir telle position. Quel est leur intérêt dans cette affaire ? Leur intérêt, c’est d’exploiter les richesses de ces pays. Que la Russie exploite l’uranium ou le pétrole du Niger, en quoi cela peut gêner le Bénin et en quoi le Bénin peut empêcher cela ? Avons-nous les moyens d’empêcher les Russes d’exploiter les ressources du Niger ? Et pourquoi dire que cette tension entre le Bénin et le Niger est le fruit d’une confrontation entre la France et la Russie ? Personnellement, je ne vois pas les capacités que nous avons. Est-ce que les Français qui sont déjà en confrontation indirecte avec les Russes en Ukraine, qui disposent d’armes nucléaires qui peuvent non seulement leur permettre de se détruire mais de nous détruire, est-ce que ces pays ont besoin des Etats comme nous pour pouvoir assouvir leurs ambitions ? Quand nous on était un pays à orientation socialiste, le temps du Prpb (Parti de la révolution populaire du Bénin), nous étions des amis des soviétiques. Avions-nous constitué une menace pour le Niger ? Avions-nous décidé d’aider le Niger à avoir un régime marxiste-léniniste ? Nous avions cohabité ensemble au niveau de la Cedeao, les frontières n’ont jamais été fermées malgré notre proximité de l’Union soviétique à l’époque et malgré la proximité du Niger, de la France et des Etats-Unis à l’époque. La preuve, il n’y a pas longtemps, le Niger avait encore des bases militaires américaines sur son territoire. Je n’ai donc pas d’éléments pour dire que nous sommes des produits ou nous subissons les conséquences d’une confrontation indirecte entre la France et la Russie même si vous ne les avez pas nommées dans votre question.
Avec la médiation personnelle des anciens chefs de l’Etat béninois Nicéphore Soglo et Boni Yayi, entrevoyez-vous une fin heureuse de la crise pour très bientôt ?
Je ne connais pas les résultats de leurs discussions mais c’est déjà une bonne initiative que des personnalités ayant assumé des responsabilités à ce niveau s’impliquent dans la recherche de solutions. Je vous ai dit par exemple qu’au Nigéria, on a envoyé des anciens présidents pour pouvoir négocier avec Tiani et discuter entre militaires. La seule exigence qui n’était pas acceptable pour les Nigériens, c’était la libération de Bazoum. Je ne pense pas que les deux anciens présidents béninois soient allés au Niger pour demander la libération de Bazoum mais pour la réouverture des frontières. Je crois qu’il est de l’intérêt du Niger, à mon avis, d’évoluer pour que les frontières soient rouvertes parce que le Port le plus proche, pour desservir le Niger, c’est celui de Cotonou. Le Port de Lomé passe par le Burkina Faso avant d’aller au Niger où il peut avoir aussi une insécurité. Quand je prends le pipeline, au départ, il y avait des discussions. C’était le Tchad qui était sollicité. Mais le Tchad devait le faire passer par le Port de Kribi au Cameroun. Les Camerounais avaient des exigences financières. Le Nigéria aussi l’a souhaité. Le Bénin est rentré dans le jeu et l’a obtenu. Maintenant, on dit qu’il faut évacuer le pétrole par le Tchad mais cela suppose qu’on trouve un financement pour mettre en place le pipeline qui va relier le Niger au Tchad. C’est à partir du Tchad via le pipeline que cela peut se faire. Le pipeline ne se construit pas en un an ni en deux ans. C’est depuis 2019 qu’on a commencé par construire le pipeline Niger-Bénin. Or, c’est en 2023 que l’inauguration a été faite. Il faut donc attendre trois ou quatre ans. Pendant ce temps, le pétrole ne génère pas de revenus. Il y a l’option de la création d’une raffinerie. On ne se lève pas pour en créer. Il faut trouver également un financement. Cela peut aussi prendre un ou deux ans, pendant ce temps le pétrole dort. Ce qui fait qu’il y a un intérêt du côté nigérien à rouvrir les frontières pour tirer profit de ce pétrole pour lequel les Chinois ont déjà avancé plus de 400 millions de dollar. Il faut qu’ils récupèrent leur mise parce qu’aucune Nation n’a d’amis mais des intérêts. Ils ne vont pas encore demander à des Chinois qui ont investi autant d’argent de les aider encore à construire un pipeline sans retour sur investissement. D’autres partenaires qui seront aussi sollicités, avec l’expérience, vont exiger des garanties. Or, il y a déjà un existant. De mon point de vue, il y a un intérêt à rouvrir les frontières mais en ayant des garanties de sécurité de part et d’autre, pour que le Bénin ne soit pas perçu ni comme une menace pour le Niger et que le Niger ne soit pas perçu comme une menace aussi pour le Bénin parce que de part et d’autre de la frontière, quelque fois on parle la même langue, nous sommes des frères. C’est la colonisation qui nous a dépecés et qui a créé ses frontières artificielles. Nous devons en tenir compte. Nous avons un fleuve qui nous sépare. De part et d’autre, c’est les mêmes populations qui parlent les mêmes langues qui se fréquentent. Même la traversée par le fleuve aujourd’hui n’est plus possible. Ceux qui en pâtissent, ce ne sont pas les gouvernants mais plutôt les populations. Voilà pourquoi je dis que nous devons tenir compte des sanctions pour ne pas impacter les populations mais faire pression sur les gouvernants.
Peut-être que l’objectif au niveau de l’organisation sous-régionale, c’est de faire pression et sur les gouvernants et sur les populations pour que ces dernières se dressent contre les gouvernants.
Si les populations peuvent avoir les moyens de faire pression sur les militaires, cela fait longtemps qu’il n’y aurait plus de régimes militaires puisque le coup d’Etat est une confiscation de la souveraineté du peuple. C’est le peuple qui par son choix, désigne ses gouvernants. Si c’est le militaire qui vient, le peuple n’a plus cette possibilité. Lorsque les élections sont traficotées, c’est que le peuple n’a plus cette possibilité ; ce qui veut dire que c’est ceux qui sont au pouvoir qui s’arrangent pour se faire réélire. Le coup d’Etat, ce n’est pas que les militaires, c’est aussi les civils à travers le tripatouillage des Constitutions et les élections truquées. On a des gens qui sont toujours élus à 90% et deux semaines voire trois semaines après, des soulèvements populaires sont organisés partout dans le pays. Si c’était l’expression de la volonté du peuple, quand il y avait ces genres de coup d’Etat, il y aura un soulèvement populaire pour montrer que le peuple n’est pas d’accord avec ce qui se fait mais les militaires ont des armes et les populations craignent aussi d’affronter ceux qui ont les armes. Or, les armes ne sont pas faites pour tirer sur les populations ; c’est pour défendre l’intégrité du territoire et garantir la sécurité des citoyens. Il faut tenir compte de tout ce contexte et nous n’avons pas l’éducation civique qui nous amène à comprendre que ceux qui sont au pouvoir sont nos représentants et ce sont les impôts que nous payons qui permettent de payer leurs salaires et de réaliser tous les différents projets sur la base desquels nous les avons élus. Cette éducation n’existe pas encore mais elle viendra avec le temps.
Vous prônez le dégel de la crise. Mais la condamnation et la libération récentes des cinq Nigériens de Wapco Niger par la justice béninoise facilite-t-elle la chose ?
Les Nigériens dont vous parlez ont rejoint leur pays et ont été décorés. Ils ont été accueillis à l’aéroport par le premier ministre et à la présidence par le Général Tiani. Est-ce que ce n’est pas un geste d’apaisement, le fait que la Criet condamne avec sursis des personnes qui ont été accusées de vouloir déstabiliser le pays ? Généralement, c’est des condamnations de 10 à 20 ans.
Propos recueillis par Jacques Boco