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Avec la création, il y a quelques jours, de la Confédération des états du Sahel par le Mali, le Burkina Faso et le Niger, l’écart se creuse davantage entre la Cedeao et ces trois pays dirigés par des juntes militaires. Le divorce d’avec l’organisation communautaire sous-régionale est-il définitif ? Que faire pour relooker la Cedeao visiblement fragilisée ? Dans une interview accordée à l’hebdomadaire catholique La Croix du Bénin, le Révérend Père Arnaud Éric Aguénounon, Ecrivain, Analyste politique a apporté sa contribution au débat. Le Directeur de l’Institut des artisans, de justice et de paix du Chant d’oiseau de Cotonou (Iajp/Co) n’a pas manqué de livrer son avis sur la posture qui devrait être celle du Bénin dans ce bras de fer entre la Cedeao et ces trois Etats du Sahel notamment le Niger.
Le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont mis à exécution leur menace de quitter la Cédéao en créant la Confédération des états du Sahel. Quelle réflexion vous inspire une telle situation ?
Abbé Aguénounon : La Cédéao est vraiment une Institution de stratégie économique, une organisation de développement, au service de la croissance mutuelle. Progressivement, elle est devenue une organisation politique. Un regroupement d’acteurs qui fait plus de politique au lieu de mettre en place des stratégies commerciales et économiques durables. Il est vrai que les textes ont prévu que la Cédéao régule la vie politique et la vie sociale. Seulement, le ver est dans le fruit, comme on dit.
Les chefs d’État de la Cédéao, en général, ne sont pas en odeur de sainteté. Plusieurs présidents ont fait des coups de force politiques, institutionnels et s’éternisent au pouvoir par la force de la loi, des élections mal organisées, le tripatouillage. Il y a ceux qui ont été installés par des militaires et qui règnent en maîtres. Ceux qui sont vraiment élus démocratiquement en se conformant aux règles d’un système démocratique sont en nombre réduit. On se pose alors la question de savoir comment ceux-là peuvent faire la leçon aux autres. Il y a un problème d’exemplarité au plan politique, des libertés publiques et de la gestion politique globale des pays. Par rapport à la question de l’ingérence, le Droit international public l’a prévue pour protéger la souveraineté des États. Mais, quelle est la limite de l’ingérence ?
Personnellement, j’ai l’impression que la Cédéao ne tient pas compte des problèmes de ces trois États : le Niger, le Burkina Faso et le Mali. Ils ont des problèmes spécifiques, de misère, de famine et d’insécurité parce qu’ils ne sont pas des pays côtiers.
Presque tous les autres pays de la Cédéao ont accès à la mer. Je crois que ça a été une erreur de prendre des sanctions aussi lourdes qui ont impacté les populations et brisé davantage le filet social. Ces trois États ont en commun les mêmes préoccupations, les mêmes défis. Face aux juntes au pouvoir dans ces pays, il a manqué de tact et de stratégie. La stratégie ne doit pas être une stratégie de sanctions rudes, violentes mais il fallait une stratégie de diplomatie. En Afrique de l’Ouest, la Cédéao est parfois perçue comme le bras armé de la Communauté internationale, de la France et d’autres pays encore.
Quelles sont selon vous les conséquences du départ définitif de ces trois pays de la Cédéao ?
Ces trois pays sont importants en termes de population : environ 69 millions d’habitants. En matière de superficie, le Mali, le Niger et le Burkina Faso couvrent 2,75 millions de km2. Ce qui n’est pas rien. En clair, ce sont trois gros pays qui sont sortis de la Cédéao. Je crois que la première conséquence touche aux populations. Elles vont en souffrir, surtout qu’elles n’ont pas d’accès à la mer. Avec cette scission, la circulation des personnes va poser problème parce que les pays de la Cédéao ont au moins la libre circulation. Désormais, il faudra, peut-être un passeport avec visa pour circuler dans la région. Il y a aussi le problème d’échanges entre les entreprises, de circulation des marchandises, notamment le Tarif extérieur commun (Tec) que la Cédéao a mis en place. Il faudra des accords entre États, certainement avec le Togo qui est un peu plus souple dans la gestion de cette crise-là. Le Bénin s’est rangé du côté de la Cédéao. C’est une stratégie qui n’est pas du tout diplomatique et qui n’est non plus ni commerciale, ni économique. Il s’agit beaucoup plus d’une stratégie politique. Le Bénin devrait intelligemment prendre une position qui favorise l’économie et le commerce. Les intrants, les matières premières, les entreprises qui sont à la fois au Bénin, au Niger, au Togo, au Mali, comment vont-ils circuler ?
Au plan politique et de l’unité africaine, il y aura un gros coup. Pendant que l’Union africaine tente d’unir les Africains, cette cassure-là constitue un coup dur pour la cohésion politique et les enjeux stratégiques en Afrique de l’Ouest. De ce point de vue, on ne pourra plus réfléchir ensemble et trouver des solutions communes aux défis. Chacun ira dans son sens alors que nous sommes à l’heure de la mondialisation, à l’heure où tout le monde s’unit. Voyez comment les pays de l’Europe sont unis et tentent de s’unir encore plus. Par contre, nous, nous travaillons à nous diviser. Cela va davantage nous fragiliser et je crois que l’Afrique doit constituer plutôt un pôle d’intérêt majeur. L’Afrique doit constituer une unité pour pouvoir peser sur le marché international. En ce qui concerne le Mali, le Burkina Faso et le Niger, on est en face de pays qui ont une position de souveraineté idéologique, mais qui néanmoins à la longue va les affaiblir et les enfermer sur eux-mêmes. Car ils se tournent vers des pays en difficulté et qui ont des enjeux stratégiques avec d’autres pays. à la vérité, les pays membres de la Cédéao vont se sentir un peu affaiblis, un peu brisés parce qu’ils n’auront plus la force et la volonté des pères fondateurs. Il faudrait beaucoup plus de stratégie diplomatique, de discussions continues pour entrer en dialogue avec ces pays-là pour que d’ici un an, quelque chose puisse se faire. Toutefois, si au bout d’un an, ils partent vraiment, cela voudra dire que nous sommes divisés en Afrique. En fait, on n’aura pas gagné la lutte parce que ce n’est pas un combat qui peut se gagner seul. Ça ne peut se gagner qu’ensemble.
Que faire pour que ces pays reviennent sur leur décision ?
Je ne sais pas si ces pays veulent revenir sur leur décision et je ne pense pas que ces militaires vont rebrousser chemin. D’une part, quand on regarde la situation actuelle, le Général Abdourahamane Tiani du Niger, le Colonel Assimi Goïta du Mali et le Capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso veulent se maintenir au pouvoir. Ils ne respecteront pas les décisions selon les textes de la Cédéao. Ils foulent aux pieds le respect des droits humains, des libertés publiques et civiles. Ils veulent perpétuer dans le temps ces dérives en toute impunité. Donc, je ne pense pas que ces militaires pourraient revenir sur leur décision de quitter la Cédéao. Ils voudraient lutter contre la France tel qu’ils le pensent et tel qu’ils le disent. Malheureusement, ce sont leurs concitoyens qui manquent du nécessaire et du minimum.
Tout bien pesé, je crois que le défi de la croissance, le défi du développement intégral de l’homme, le défi de l’éducation et de la sécurité des peuples leur échappent. Ces juntes qui prétendent apporter la sécurité dans leurs pays sont aussi au pouvoir pour leurs propres intérêts inavoués. Ce que pourrait faire la Cédéao, c’est d’aller à la table de négociation, d’ouvrir des pourparlers et d’espérer tout en gardant le lien social, le lien humain qui sont supérieurs au lien politique.
Comment voyez-vous l’avenir de la Cédéao où on remarque que certains pays ne respectent pas les règles fixées au sein de l’Institution et ceci en toute impunité ?
La Cédéao est déjà une Institution faible à cause des chefs d’État, car beaucoup ne sont pas légitimes, même s’ils sont légalement élus et installés. Dans chaque État, il y a des problèmes de libertés publiques, économiques et de développement. Or la Cédéao ne prend pas en compte tous ces aspects. Elle s’intéresse beaucoup plus à la gestion intérieure des États. Je pense que ce qui doit préoccuper la Cédéao, c’est ce que l’on a en commun. Ce qui fait notre unité, ce qui fait notre force. Les chefs d’état doivent se dire la vérité entre eux. Ils doivent faciliter la création d’alternances pacifiques. Ils doivent donner la voix à l’opposition, à la société civile et instaurer un secteur économique porteur en donnant la place au secteur privé, aux investisseurs privés. Les locomotives économiques comme le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana sont appelées à aider les autres à avancer et il faut échanger, dialoguer à ces niveaux. Voilà de vrais enjeux économiques. La circulation des biens et des personnes, la création d’une compagnie aérienne, ferroviaire et autres initiatives pour le vrai développement de l’espace sous régional. Voilà les points sur lesquels devrait se pencher la Cédéao qui chaque fois donne l’air de se constituer en gendarme des putschistes, alors que des chefs d’État tordent le cou à leur propre Constitution pour se maintenir au pouvoir. Il y a une crédibilité qui se joue à ces différents paliers.
Source: La Croix du Bénin