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Dans ce troisième extrait de son entretien exclusif avec Africa Dev News, le Professeur Théodore Holo livre son avis technique sur la décision du chef de l’Etat Patrice Talon de nommer des ministres conseillers à la Présidence de la République. Lire l’intégralité.
Africa Dev News : Le projet du chef de l’Etat de nommer des ministres conseillers issus des partis soutenant ses actions, traduit dans un décret, a été attaqué devant la Cour constitutionnelle par de jeunes juristes et le parti de l’opposition Les Démocrates. Dans sa décision en date du 23 mai 2024, le Juge constitutionnel appelé à statuer sur la constitutionnalité ou non du contenu du document, a donné le feu vert au président Patrice Talon. Votre commentaire.
Professeur Holo : En tant qu’ancien président de la Cour constitutionnelle, et depuis madame Pognon qui a observé cette réserve, nous n’intervenons pas sur les décisions de la Cour constitutionnelle en public. Nous pouvons échanger avec les amis quand nous les rencontrons pour avoir aussi d’autres éclairages. Vous n’avez pas entendu madame Pognon apprécier les décisions de madame Ouinsou ; vous n’avez pas entendu madame Ouisou, paix à son âme, apprécier les décisions de Robert Dossou ; Vous n’avez pas entendu Robert Dossou apprécier mes décisions ; je ne crois pas avoir apprécier les décisions de Joseph Djogbénou. Mais je dois rappeler un certain nombre de choses en tant que Juriste. Dans notre Constitution, il est dit que le président de la République, est le chef de l’Etat, chef du gouvernement. Il détermine et met en œuvre la politique de la nation. Le chef de l’Etat a été élu sur la base d’un projet de société. Pour mettre en œuvre ce projet de société, il ne peut faire appel qu’à ceux qui sont proches de ses idées ; donc à ses partisans. Il nomme ses ministres parmi ses partisans, il peut nommer ses conseillers parmi ses partisans. Je ne sais pas pourquoi on les appelle ministre conseillers, mais ce sont des conseillers ; il ne peut les nommer que parmi ses partisans parce qu’ils partagent son projet de société sur la base duquel il a été élu et qu’il veut mettre en œuvre. Nous avons dans notre pays, le statut de l’opposition qui précise que sur des questions d’intérêt général, le chef de l’Etat consulte ou doit consulter l’opposition pour échanger avec elle, avoir son opinion et lui apporter aussi des informations. Comme l’opposition aussi a le droit de critiquer l’action du gouvernement en faisant des propositions alternatives pour permettre aux électeurs, demain, de faire le choix entre ce qui est mis en œuvre par ceux qui sont aux affaires et les propositions qu’elle-même fait. Si vous demandez à quelqu’un qui a été élu sur la base d’un projet d’avoir des conseillers venant de l’opposition qui ne partage pas son point de vue, comment-est-ce que vous voulez qu’il mette en œuvre ce projet de société. Pour moi c’est une question de logique. Le chef de l’Etat choisit ses conseillers parmi ceux qui partagent son point de vue. Il peut prendre des technocrates qui n’ont pas un affichage partisan. Quand l’opposition sera au pouvoir demain, elle aura le droit, en tant que déterminant la politique de la nation, de prendre ceux qui partagent son point de vue, pour l’aider à réussir sa mission, en ayant aussi l’obligation de consulter, sur les question d’intérêt général, ceux qui demain seront dans l’opposition. Par exemple la crise au Niger peut faire l’objet d’une consultation entre le gouvernement et l’opposition parce qu’il s’agit de l’intérêt de toute la nation, pour voir quelle.s démarche.s pouvons-nous faire pour régler ce problème. Ce n’est donc pas une question qui concerne uniquement le gouvernement. Mais ça concerne aussi l’opposition. Je ne sais pas si la consultation a eu lieu. Or, le statut qui date de 2012 et modifié en 2019 fait mention de cette obligation de consultation pour montrer que nous ne sommes pas des adversaires. Nous n’avons pas la même vision des choses, c’est un fait, mais nous avons le même pays et nous voulons œuvrer pour le bien-être de ses populations. Qu’il vous souvienne, du temps de madame Conceptia Ouinsou, de Robert Dossou et de mon temps également, chaque fois que le Parlement devait être représenté dans des organes tels que la Haute Cour de justice et autres, on s’assure toujours qu’il y ait opposition et majorité. Le Code électoral avait aussi prévu que les délégués dans les Bureaux de vote, envoyés par le Parlement, devaient comporter un représentant de l’opposition, un représentant de la majorité. Malheureusement cette disposition a été supprimée. Tout ceci pour monter que nous sommes tous fils du pays, préoccupés par les intérêts du pays. La majorité de la population donne sa confiance à un groupe pour diriger le pays mais cela ne veut pas dire qu’il faut ignorer les intérêts des autres. On dit généralement la démocratie est loi de la majorité, mais dans le respect des droits de l’opposition, de la minorité.
Donc pour vous le chef de l’Etat est libre…
Oui, de nommer qui il veut, qui partage sa vision. On n’a pas à lui imposer ses conseillers parce que c’est lui qui va répondre.
Et pour vous résumer, nous ne sommes pas des adversaires certes, mais chacun dans son couloir…
Chacun dans son couloir puisque l’opposition doit être consultée sur certaines questions aussi. On ne peut pas être fermé aux contacts avec l’opposition, qui peut aussi apporter un éclairage utile à ceux qui sont aux affaires.
Quand on revient à la décision de nommer des ministres conseillers. Est-ce que ça ne fait un gouvernement bis ?
Non, cela ne fait pas un gouvernement bis. Je vous ai dit que je ne sais pas pourquoi on les appelle ministres conseillers. Vous savez que dans les Ambassades on a des ministres conseillers.
Ah oui ?
Bien sûr, il y a des ministres conseillers. Mais arrivés à ce niveau, certains conseillers vont supprimer le terme conseiller pour ne voir que ministre. C’est cela qui fera l’ambiguïté. J’aurais préféré qu’on les appelle simplement des conseillers du chef de l’Etat plutôt que de les appeler des ministres conseillers.
Mais quand on suit bien le chef de l’Etat, il veut non seulement des gens qui vont le conseiller sur des dossiers, mais aussi qui iront aussi sur le terrain, au contact des populations, pour des actions de propagande comme il n’en a pas fait assez avec son les membres de son gouvernement.
Des gens iront sur le terrain en tant que conseiller pour venir lui donner des informations utiles pour orienter certaines décisions, mais ce n’est pas eux qui gèrent le ministère. Par exemple vous nommez un ministre conseiller à l’Enseignement supérieur, il ira voir ce qui se passe à l’Enseignement supérieur mais ce n’est pas lui ministre conseiller qui va prendre les décisions de la gestion de la recherche scientifique et de l’Enseignement supérieur. Ce n’est pas dans ses attributions.
Finalement cela ne pèse-t-il pas sur le budget national surtout par ces temps où les ressources sont rares ?
Il est vrai, on se plaint qu’il y ait des doublons, qu’il y ait des Agences, on ne connaît pas les salaires des ministres, on ne connaît pas non plus les salaires des conseillers. Mais les conseillers ont toujours existé. Par exemple le président Yayi Boni, il avait été conseiller technique du président Nicéphore Soglo comme Léhady (Soglo). Sans oublier Guy Adjanohoun, Lazare Kpatoukpa qui étaient également des conseillers avant de devenir ministres. Je crois que le Bénin fait preuve de sagesse. J’avais voulu que dans notre Constitution on limite à vingt le nombre des ministres. Malheureusement… Regardez un pays comme la République démocratique du Congo avec 55 ministres ; vous avez plusieurs vice-premiers ministres, plusieurs vice-ministres, plusieurs secrétaires d’Etat. C’est des lourdeurs pour des petits pays qui n’ont pas beaucoup de ressources. Quand on compare aux pays européens, la France c’est 37 ou 40 maximum. Généralement depuis le PRPB (Parti de la révolution populaire du Bénin), le Bénin se limite à 22 ou 25 au maximum. C’est déjà une preuve de sagesse. Maintenant, il faut que leur salaire soit raisonnable et connu parce que dans le cadre de la lutte contre la corruption, chaque autorité avant d’entrer en fonction fait la déclaration de ses biens. Si on ne connaît pas le salaire qu’elle gagne, comment est-ce qu’on peut savoir à la fin de son mandat que les biens qu’il a acquis l’ont été sur la base de ce qu’il a gagné ou sont le fruit de la corruption ? Il y a donc cette transparence qu’il est important de mettre en œuvre. Nous avons été saisi quand on était Président de la Cour constitutionnelle et nous avons envoyé le juge d’instruction au chef de l’Etat, qui est le chef du gouvernement, par trois fois. Nous n’avons pas eu de réponse et nous avons été obligé que nous ne pouvons pas répondre parce que le chef de l’Etat n’a pas répondu. Aux Etats-Unis on connaît le salaire du chef de l’Etat, pareil en Suède, en Finlande… C’est cela la transparence. Et quand on veut lutter contre la corruption, on commence par là. La déclaration des biens, par exemple au Niger c’est annuel et publié. Même chose au Mali. C’est publié, diffusé au vu et au su de tout le monde. Au Bénin, c’est envoyé au Journal officiel ; rares sont ceux qui lisent le Journal officiel. Si nous voulons lutter contre la corruption, je sais qu’il existe cette volonté, c’est cette démarche que nous devons mener pour montrer notre volonté de lutter contre la corruption.
Propos transcrits par Jacques Boco